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DESSINE-MOI UN CITRON

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Un loser. Le terme est fort mais lié à une réalité. L'auto-édité, c'était celui qui n'avait pas le talent pour être signé chez un éditeur traditionnel. Aujourd'hui ce n'est plus tout à fait le cas. « Dans l'ensemble, le professionnalisme n'est pas présent pour une majorité de projets […] mais certains sortent du lot. » reconnaissait Stéphane Blanco, auteur et dessinateur, en janvier 2014 sur le site ActuaLitté.


Le roman à déjà connu de nombreux succès issus de l'auto-édition. Exemple le plus parlant, une certaine E.L. James et son roman Cinquante nuances de Grey, publié tout d'abord en 2011 en auto-édition sur son site internet. Le succès est immédiat, le livre est lu plusieurs millions de fois en version numérique avant d'être racheté par Vintage Book, une maison d'édition New-yorkaise.


Plus proche de nous, citons Aurélie Valogne et son roman Mémé dans les orties. La encore les ventes de la version électronique sur Amazon décollent rapidement. « J’espérais en vendre 100. J’en suis à 25,000 exemplaires », se réjouit l'auteure sur le blog d'Audrey Alwett. Le livre réussit même, à la rentrée, à se hisser numéro deux des ventes sur la plate-forme, juste derrière Merci pour ce moment de Valérie Trierweiler.


Pour ce qui est de la bande-dessinée, rien ne distingue, dans les chiffres, les albums publiés par un éditeur traditionnel et les auto-édités. Difficile donc de trouver des exemples aussi révélateurs que pour les romans. Le rapport Ratier, qui publie chaque année une liste des albums vendus à plus de 20 000 exemplaires ne référençait aucune bande dessinée issue de l'auto-édition en 2014. Ce n'est pas mauvais signe pour autant. Pour de nombreux auteurs, une bande dessinée qui s'écoule à 1 000 exemplaires est déjà un succès commercial.


« Écrire un livre ou une BD ne rapporte pas d’argent en dessous de 10 000 exemplaires vendus. Car pour tirer l’équivalent d’un smic par mois de travail en amont des ventes, il faut vendre beaucoup » tempère Juliette Merris, auteure de  Il me manque quelqu'un. Issue du blog jeveuxunbébé,com, l'histoire a d'abord connu le succès sur la toile, avant d'être auto-éditée en version papier en 2013. Un petit succès commercial suffisant pour financer le tome deux en auto-édition. Aujourd'hui, ces deux albums ont été publiés par un éditeur traditionnel : Desinge & Hugo & cie.


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AUTO-EDITION

NOUVEAUX REGARDS

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Internet a permis à certains auteurs, qui ne voyaient plus l’intérêt de travailler dans le circuit traditionnel, de se lancer en solo. En effet, un auteur toucherait entre 5 et 10% du prix d'un album, le reste allant aux libraires, à l'imprimeur et bien sur, à l'éditeur. Supprimer ces intermédiaires, c'est l'assurance de toucher une plus grosse part du gâteau. Yannick Lejeune résume « Est-il plus intéressant de travailler en solo qu'avec un éditeur ? La réponse est probablement oui quand on est déjà connu et qu'on a un lectorat. Quand on démarre, je pense qu'il est préférable de travailler avec un éditeur qui fait connaître la BD, ce qui est plus difficile à faire quand on est seul »


Outre l'aspect financier, Internet permet donc également de se constituer un premier lectorat, avant d'aller taper aux portes des maisons d'édition. Boulet, alias Gilles Roussel en est le parfait exemple. Après avoir fait ses armes dans le magazine Tchô dirigé par Zep, le père de Titeuf, l'auteur lance un blog en 2004, Bouletcorp.com et se fait rapidement remarquer grâce à lui.


Xavier Guilbert, membre du collectif du9, dresse chaque année depuis huit ans un état des lieux du marché de la BD. Pour lui, « Internet apporte une visibilité aux productions qui sont à la marge. Avant c’était les revues ; aujourd’hui, c’est le blog. » Yannick Lejeune, délégué aux nouveaux formats chez Delcourt, ne dit pas autre chose : « le numérique permet de faire l’impression et de la diffusion plus facilement et finalement de toucher les lecteurs en raccourcissant les intermédiaires. »


Pénélope Bagieu – alias Pénélope Jolicoeur – s'est fait connaître grâce à son blog BD Ma vie est tout à fait fascinante. Elle a accepté, dans la page qui suit, de nous raconter son expérience.  


LE NUMERIQUE

CHIC OU HIC ?

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« J'ai ouvert mon blog quand je travaillais depuis quelques mois dans l'illustration. Je me suis rendue compte que je ne dessinais plus que pour la commande, alors que j'avais l'illusion que j'allais "vivre de ma passion". Or ça n'avait déjà plus grand chose d'une passion.


A l'époque, en 2007, je ne connaissais pas de blogs BD. Cela m'a poussée à en découvrir, à connaître les gens qui faisaient déjà ça, comme Cha, laurel, Boulet ou encore Melaka. Ce qui est clair, c'est que cette "génération" n'était pas du tout dans une démarche promotionnelle, ni même d'édition puisqu'à l'époque, il n'y avait pas de livres tirés de blogs. Il n'y avait pas de possibilités liées à ce format. Cela se résumait à un labo d'expérimentation ou à un défouloir personnel. Néanmoins, l'avantage c'est l'absence de pressions, de commandes. Cela permet la totale insouciance. Une note de blog, c'est pour se faire plaisir. Il n'y a pas vraiment d'enjeu qualitatif. Si un moment les gens n'aiment plus, ils ne viennent plus.


Après, cela reste un support où des choix éditoriaux sont réalisés. Mais une grande partie du défi et du plaisir de l'auto-édition, c'est aussi le choix du format, le choix du papier. Le livre est quand même très lié à sa forme, c'est l'une des seules formes de création qui soit aussi implicitement liée à un objet. L'autre défi, c'est la diffusion et la distribution. Il faut à la fois promouvoir son blog et être actif sur les réseaux sociaux. Lorsque l’on veut à tout prix utiliser le blog pour mettre en avant un travail, il faut être prêt à porter un peu toutes les casquettes de la maison d'édition. On est seul aux commandes.

Pour ce qui est de l’aspect économique le blog permet de se faire voir. Il est plus facile de travailler « en échange d'une belle visibilité ». Cela peut permettre de faire en sorte que les décideurs soient familiarisés avec votre trait, et par conséquence pensent à vous au moment où il faut choisir quelqu'un pour un boulot. Mais dans la tête des gens, on dira toujours « le blogueur Machin ». Et c'est un titre qui signifie : l'étudiant dans sa chambre. Tant que le terme « blogueur » est accolé à votre nom, cela veut dire « pas professionnel », et c'est très agaçant.

 

Pour ce qui est de ma propre expérience, mon premier livre était tiré de mon blog, donc je le dois 100% au repérage par mon blog. Mais j'apporte deux bémols. C'était en 2007, donc il n'y en avait pas vraiment d'autres, mis à part la BD tirée du blog de Frantico. Je pense que pour l'éditeur, à l’époque, l’idée était de faire un coup, un livre rigolo au rayon carterie.

 

Autre bémol : Le moment venu, quand j'ai voulu écrire une BD, j'ai en fait plus ou moins repris le chemin à zéro. Dans la tête des éditeurs BD, le passage n'est pas du tout automatique : ce sont deux narrations, deux livres, et surtout deux lectorats bien distincts. »

 

Pénélope Bagieu

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Autre avantage du numérique, le financement de projet est devenu plus simple grâce au crowdfunding, ou financement participatif. Les auteurs proposent un projet aux internautes qui peuvent apporter leur soutien en faisant un don. « Dans l’idée de souscription, il y a une forme d’engagement du lecteur qui valide implicitement sa viabilité auprès du public, et ça permet de surcroît de pré-vendre une partie du stock, ce qui n’est pas du luxe » résume Christophe Andrieu dans son billet de blog « BD et auto-édition : je l'ai fait et j'ai survécu. »


Ulule, Kisskissbankbank, MyMajorCompany ou encore Kickstarter, les sites de financement participatif sont nombreux et donnent une place plus ou moins importante aux projets de bande-dessinée. Ulule, le premier site de financement participatif européen, est le seul à disposer d'une section réservée au neuvième art. Depuis 2010, 170 projets ont été financés sur la plate-forme, notamment des poids lourds du secteur comme « La revue dessinée » (dont Olivier Jouvray fait partie) pour un total qui dépasse les 750 000€. En Avril 2015, le site hébergeait 25 projets de BD.

Autre particularité : Ulule met en avant un projet par mois, en partenariat avec Culture BD, un site spécialisé.


Le crowdfunding n'est pourtant pas une solution miracle. Sur Ulule, 30% des projets BD présentés n'ont jamais reçu le financement nécessaire.


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Sandawe et Bibliocratie, entre crowdfunding et éditeurs

 

Parmi les sites de financement participatif, deux sortent du lot en proposant aux auteurs un service plus important qu'une simple plate-forme de crowdfunding, se rapprochant ainsi du travail fourni par les éditeurs traditionnels.

Créée en 2010 par Patrick Pinchard, ancien rédacteur en chef de Spirou et éditeur chez Dupuis, Sandawe est une plate-forme de financement collaborative dédiée à la bande-dessinée. Le site présente à la fois des projets libres, semblables à ceux que l'ont peut trouver sur d'autres plate-formes de financement participatif, et des « projets Sandawe ». Ces derniers, une fois financés par les « édinautes » (contraction d'éditeur et d'internaute), sont gérés par Sandawe, qui s'occupe de tout, de la fabrication à la rétribution des auteurs, exactement comme un éditeur classique. « Dans ce système, tous les droits restent à l’auteur, la majeure partie des bénéfices lui reviennent alors que, dans l’édition traditionnelle, il ne touche que 6 à 10 % selon son contrat en échange de la cession de ses droits de propriété intellectuelle », affirmait Patrick Pinchart en 2013 sur le site A voir à lire. Depuis sa création, 54 albums ont été publiés par Sandawe.


Bibliocratie se veut tout aussi novateur mais aussi plus engagé. « Nous permettons à tous les auteurs de défendre leur travail en public, sans supplier en vain l'aristocratie du système, sans sacrifier aux exigences créatives et économiques du marché », peut-on lire sur le site. La encore, les lecteurs financent les projets qu'ils souhaitent lire. Le site est d'ailleurs présenté comme une maison à compte de lecteur, en opposition aux maisons à compte d'auteur, controversées, où ce sont les auteurs qui paient pour être édités. 90% des bénéfices sont reversés aux auteurs, un chiffre important comparé aux 5 à 10% que touche un auteur publié chez un éditeur classique. Une manière de redonner à l'auteur toute la place qu'il mérite.

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CROWDFUNDING
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Face au succès de ses histoires courtes, le jeune blogueur de 22 ans Dara Nabati est parvenu, en octobre 2014, à se faire publier en version papier par Short Edition. Il revient sur son expérience.


« A l’époque, j’étais en école de cinéma d’animation. L’animation c’est un travail long et fastidieux et pour souffler un peu je faisais des petites histoires en BD dans des carnets. C’était juste pour faire rigoler les copains, puis par la suite j’ai été encouragé à les mettre au propre à l’ordi, en couleur, rendre ça un peu plus présentable. J’avais l’habitude de poster mon travail sur mon blog. L’inconvénient c’est qu’il n’y avait que ma famille et mes amis qui le lisaient.

 

J’avais besoin d’un avis extérieur et une amie de l’école m’a parlé de Short Edition, le concept m’a plu et je leur ai envoyé mes premières histoires. Cela m’a permis de palier à ce manque et d'avoir des retours de la communauté ainsi que du comité éditorial. Et puis l'aspect concours est sympa aussi, avec la possibilité de gagner quelques sous et d’être publié dans la revue. Par la suite, ils m’ont proposé d’adapter les petites histoires que je leur envoyais pour en faire une BD papier, c’est comme ça qu’est né « Fabien et ses copains. »

 

Maintenant, avec un peu de recul, je me dis qu’effectivement Short Edition se distingue fortement d’une maison d’édition classique. Le site évolue et ressemble de plus en plus à un réseau social de littérature courte. Il se positionne comme un éditeur révélateur de talents, à l’heure ou les maisons d’édition dites classiques se risquent de moins en moins à miser sur de nouveaux auteurs.

 

Après, ce n’est pas la seule alternative à l’édition classique. J’ai pu voir pas mal de tentatives de BD dites numériques, je m’y suis même vaguement essayé. La plupart ne sont que des numérisations de BD papier, le numérique n’étant là qu’un moyen de diffusion sans influence sur la création. Le seul système que j’ai pu voir, qui tire vraiment profit de l’outil numérique, c’est le Turbomédia, inventé par Balak entre autres. C’est un système très simple, ou l’on clique pour passer à l’image suivante : la différence fondamentale avec la BD papier étant qu’on peut créer des gros effets de surprise et énormément décomposer les mouvements, attirer l’attention sur des choses très subtiles comme un clignement d’oeil ou une goutte de sueur qui coule.

 

Des gens ont essayé d’y rajouter de la musique, ou des morceaux animés : je trouve que ça perd son intérêt, ça se transforme vite en un sous-film d’animation. Je trouve le Turbomédia très chouette, mais je ne dirai pas que ce soit le « modèle de demain » de la BD. C’est juste différent, une autre forme narrative, je sais même pas s’il faut appeler ça de la BD. C’est juste autre chose. »

 

 

J'AI TESTE POUR VOUS...

SHORT EDITION

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AMAZON / EDITEURS

LE CHOC DES TITANS

En 2013, cinq maisons d'éditions se sont disputées le marché de la BD. Média Participations, d'abord, qui a réalisé 27,30 % des ventes de BD. Delcourt ensuite (16,01 %), Glénat (15,60 %), Hachette (11,50 %) et enfin Madrigall (6,90 %). Le reste ayant été trusté par une myriade d'éditeurs plus petits (source des chiffres : rapport Ratier de 2014).


N'étant pas une maison d'édition, Amazon n'apparaît pas dans le classement. Or, des auteurs se tournent désormais vers l'entreprise. C'est le cas de Laurent Bettoni, qui a déjà publié six de ses romans sur la plate-forme numérique. Elle a su séduire, avec un argument massue : le montant reversé à l'auteur à chacune de ses ventes, 70%. C'est bien loin des 8 % proposés, en moyenne, par les maisons d'édition.


Amazon a réussi le tour de force de créer un système de bouche-à-oreille performant. La recette : le système de « recommandations », qui s'enclenche sitôt le top 100 des ventes atteint. La stratégie est de mettre un premier prix de vente peu élevé, alerter son entourage pour alimenter les premiers téléchargements. Lorsque vous faîtes partie des meilleurs ventes, « Amazon vous met dans les newsletters ciblées, commente Laurent Bettoni. On est visible par des gens qui ne nous connaissaient pas avant. »


Dans le milieu de l'édition, Amazon fait figure d'outsider... qui totalise près de 74 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2013. A l'avenir, Laurent Bettoni mise sur un système hybride, où « les auteurs céderont leurs droits numériques à Amazon, et garderont leurs droits papiers pour leurs maisons d'éditions. » Seul obstacle à l'avènement de la firme : les gros auteurs, chouchoutés par les maisons d'éditions traditionnelles qui craignent de voir partir leurs poulains. Là encore, l'auteur a du mal à saisir : « un auteur comme Marc Lévy, qui touche, à la louche, un million d'euros d'à-valoir chez un éditeur, en toucherait trois s'il publiait ses romans chez Amazon... »


Loin des fantasmes, la firme américaine apparaît alors comme une solution viable à la crise du marché de la BD et du livre. « Malgré ce que l'on croît, les éditeurs traditionnels sont beaucoup plus commerçants qu'Amazon, assène Laurent Bettoni. J'en avais marre qu'on me parle de « retour sur investissement » à chacun de mes projets. Les responsables d'Amazon proviennent du monde du livre, ils savent ce que c'est. Et c'est en me tournant vers eux que j'ai pu, à nouveau, parler littérature. »


En avril 2014, l'entreprise a racheté le géant de la BD numérique ComiXology qui regroupe 50 000 BD, comics et manga. Signe d'une volonté affichée de se rapprocher encore un peu plus du marché de la BD. Pourtant, lorsque l'on demande à Jacques Glénat s'il est au courant de ce genre d'initiatives de la part d'Amazon, il répond par la négative. Une posture qui n'étonne pas Laurent Bettoni : « Les grandes maisons d'édition ont 300 ans de retard. Ils en sont encore à la plume d'oie et l'encrier. Pour eux, le numérique, cela s'arrête au PDF. Le mobile ? Ils ne connaissent même pas ! »


Même constat pour Audrey Alwett, du studio Gottferdom à Aix-en-Provence. Selon elle, les maisons d'édition sont traditionalistes. Elle en a fait l'expérience récemment. Lors de son passage au salon du livre, qui s'est tenu du 20 au 23 mars 2015 à Paris, elle découvre une initiative originale, lancée par la jeune société Orséry. Christian Vié, son président et fondateur, propose un service d'impression à la commande, directement en librairie. Elle décide d'en parler à son éditeur – Delcourt – qui dit n'en avoir jamais entendu parler.  

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